Etats généraux du Christianisme

 

 

 

Onze délégués de différents groupes de La Pierre d’Angle ont préparé une intervention pour les Etats généraux du Christianisme, organisés par l’hebdo-madaire La Vie, du 11 au 13 octobre 2013.
Voici le texte de cette intervention.

 

 

La parole des pauvres a-t-elle une place dans l’Eglise ?

 

On a commencé par réfléchir à ce que veut dire « avoir la parole ».

Avoir la parole, c’est pouvoir s’exprimer librement, prendre le temps d’expliquer son ressenti et avoir le droit de ne pas penser comme son voisin. Et puis c’est pouvoir être entendus. On doit prendre le temps de nous écouter, c’est-à-dire ne pas couper la parole, parce que pour la personne qui n’a pas l’habitude de parler c’est très dur, c’est horrible.

Avoir la parole, c’est pouvoir dire ce qu’on a dans le cœur, sans avoir peur, parce qu’on se sent bloqué. On a peur de parler, parce qu’on a peur d’être jugé. Quand on est pauvre on nous rabaisse toujours en nous écartant.

Puis on a essayé de comprendre la question de cette rencontre : « La parole des pauvres a-t-elle une place dans l’Eglise ? »

Je pense que la parole du pauvre doit avoir sa place dans l’Eglise. L’Evangile nous dit bien que Jésus s’est fait pauvre pour être parmi eux. Dans l’Eglise on ne le dit pas assez, on ne le répète pas assez. Et je suis absolument persuadé que cette parole dans l’Eglise est essentielle pour approcher Dieu. Dans nos églises nous ne sollicitons pas assez les plus fragiles pour participer pleinement à la communauté, parce qu’ils ne sont pas assez savants, parce qu’ils n’ont pas fait d’études. Mais leur plus grande richesse, c’est l’amour qu’ils transmettent à travers leurs souffrances.

Jésus ne dit pas qu’il faut être savant pour connaître Dieu. Il demande simplement de faire parler l’esprit de l’Eglise à travers la parole des plus pauvres, des oubliés, des abîmés de la vie. Notre identité chrétienne doit être un dialogue, pour permettre à l’autre d’être soi-même.

Nous, les gens pauvres, on a un rôle. Ça peut être d’avoir l’audace de dire comment on vit. Il faut oser prendre la parole. Je crois que Jésus nous attend là : parce que si nous qui sommes pauvres, on ne dit pas à l’Eglise : « Attention, on peut vous dire des choses, on sait des choses, on a vécu des choses, et on a touché Dieu de près dans notre misère », qui c’est qui va le dire si c’est pas nous ? Il faut oser dire : « Ecoutez : le Christ, il est là, dans ma vie, même si j’ai connu la misère. » Il faut vraiment se dire qu’on a un rôle : peut-être réveiller l’Eglise à cette attention aux gens pauvres qui sont mal vus et jugés.

Dieu donne la parole à tous, Dieu veut entendre tout le monde. Je pense qu’on doit faire comprendre à l’Eglise que la parole n’est pas que pour une certaine catégorie de personnes, mais pour tous. Le Christ, quand il parlait, c’est aux plus pauvres qu’il parlait. Et les plus pauvres d’aujourd’hui, eux aussi, ont besoin de s’exprimer.

Nous aussi on a notre place dans l’Eglise, et auprès du Seigneur.

Je pense qu’on doit faire changer les mentalités, après ce qui s’est passé à Lourdes, pour Diaconia. Il faut que la porte des églises soit ouverte à tout le monde. Mais il ne suffit par de pouvoir entrer dans une église, il faut pouvoir y parler aussi. Il faut que les plus pauvres aient leur place. Laisser la porte des églises ouverte, pas seulement pour entrer, mais pour parler. Il faut laisser la parole ouverte.

Et il ne faut pas seulement pouvoir parler, mais être écouté, et être écouté par tous.

Plusieurs fois, longuement, le groupe a insisté sur les difficultés d’être dans une église, et encore plus d’y parler.

Parler c’est très difficile. Sortir de son enfermement, c’est encore plus difficile.

Parce que être pauvre c’est épuisant. C’est lourd, fatigant.

C’est lourd à supporter. C’est une souffrance.

Et il faut dire ça. Il faut que ceux qui vont à l’église le sachent, parce que dans l’Eglise, on doit s’aider à porter les autres.

Il y a des gens qui ont tellement de souffrances qu’ils ne peuvent pas entrer dans une église, encore moins parler.

Entrer dans une église, c’est très dur, parce que tous les gens nous dévisagent. On reste toujours au fond pour ne pas être dévisagés.

C’est un regard méprisant. On nous juge. C’est ça que je sens, moi, je l’ai vécu : ce n’est pas le curé qui m’interdisait de rentrer dans l’église, mais c’était les paroissiens qui me montraient du doigt.

Dans une église, le dimanche, on ne se sent pas chez nous. En semaine, oui, parce qu’il n’y a personne.

C’est toujours les mêmes qui ont la parole. Nous, on est retirés, on est toujours à l’arrière.
Mais quand on me donne la parole, c’est un signe d’appréciation, de confiance et d’écoute. Par exemple, dans un groupe, comme La Pierre d’Angle, c’est possible de parler, parce que tu es reconnu en tant qu’être humain : je ne suis pas invisible, j’existe. Ailleurs, on est des fantômes.

La parole des plus pauvres peut faire peur, parce qu’ils disent la vérité.

Ils disent des choses que les gens n’ont pas envie d’entendre.

Il y en a qui se sont approprié la Bible, approprié Dieu. Ils se disent : « C’est notre place à nous, et on va pas la donner aux plus pauvres. C’est notre place, c’est pas la leur. »

Que faire ? Comment faire pour que les choses changent ?
Cela a été notre dernier thème de réflexion.

Il y a des murs qui se sont construit entre les gens. Il faudrait les détruire.

On doit apprendre à se connaître tous : c’est la condition pour que ça avance.

L’Eglise ne peut pas se construire avec les pauvres d’un côté et les autres à côté. C’est tous ensemble. Il faut qu’on soit tous mélangés.

Une Eglise unie.

Et cela doit passer par le dialogue.

C’est en partageant par des réunions au sein de notre paroisse que nous pouvons faire avancer les mentalités. L’église est une grande maison où tout le monde a sa place. Mais je pense que c’est surtout l’amour de l’autre qui est important. Sans l’amour l’Eglise ne peut pas exister
Il faut apprendre à se connaître en profondeur et se poser la question : « Qu’est-ce qui rend l’être humain heureux ? » Cela ne peut se faire que si notre foi en Dieu se transforme dans l’amour de l’autre, le partage et le don de soi.

Mais c’est un long chemin, parce qu’on a peur de l’autre et on lui porte un jugement, alors que Dieu ne juge pas. C’est ce qui fait la différence. Mais c’est plus facile à dire qu’à faire.
Je le redis : je crois fermement que sans l’amour de Dieu c’est très difficile.

 

Quelques idées concrètes

Il faut un commencement. Et ça peut être par exemple de demander à une personne pauvre de faire une lecture, la prière universelle, les annonces.

Parce que ça peut faire un déclic pour que la paroisse accepte mieux la personne.
Ce serait un premier pas.

Avoir la parole dans l’Eglise ça peut aussi être visible dans l’église. Si on est toujours en arrière, dans le fond, on ne nous voit pas. Il faut se mettre devant, pour que peu à peu les gens sachent qu’on est là, qu’on existe.

Il faut oser s’avancer. Parce que c’est sûr que si nous on ne s’avance pas, personne ne viendra nous chercher, parce qu’on fait peur aux gens encore, parce qu’ils nous connaissent pas en fait.

On n’est pas toujours vu. Et puis il arrive que tout à coup on te voie, et on t’écoute.

Quand dans un groupe on prévoit de faire quelque chose, il faudrait se demander quelle est la personne la plus pauvre qui peut le faire. Parce que de toute façon les gens qui peuvent faire beaucoup de choses, ils pourront être responsables, mais pas les plus pauvres.

Il faudrait toujours se demander si telle activité, le plus pauvre peut la faire.

Les plus pauvres, ils n’ont rien mais ce qu’ils ont de plus beau c’est la lumière en eux. Même s’ils n’ont rien à donner, ils ont une grande lumière en eux. Alors il faut leur dire : vous avez quelque chose, une grande lumière en vous, dans votre cœur. Et ça, c’est ce qu’il y a de plus beau. C’est ce que Dieu nous donne. Il faut leur dire qu’ils ont la lumière.

Il faudrait parler avec notre parole, c’est-à-dire comme on parle, parce que tout le monde comprendrait. Il y a des paroles, comme celle des théologiens, on ne comprend pas ; mais si on parle, nous, les gens disent : « Ah ! On a compris. C’était simple. »

Il faudrait que l’Eglise parle avec les mots de ceux qui ont le plus de mal à parler, pour que tout le monde comprenne.

Rendre des services dans la paroisse, ça permet de rencontrer d’autres gens et de se connaître.
Il faut oser aller voir si la paroisse a besoin de quelque chose.
Il faut favoriser la rencontre.

On pourrait appeler ça la genèse de la fraternité.

Je partirai de l’expérience de Diaconia, où on a donné la parole aux plus pauvres. Là où on habite, on peut se mettre à l’écoute des pauvres qui nous entourent et que chacun fasse ce que Diaconia a fait, c’est-à-dire écouter et respecter, parce que c’est possible. A Diaconia, à Lourdes, on a prouvé que c’est possible, donc on peut le faire, et il faut le faire. C’est une expérience qui doit motiver un élan.

 

En conclusion.

Dans l’Eglise, il ne faut pas oublier ceux qui vivent la misère, ne pas les mettre de côté, parce que bien souvent, c’est vrai, les gens les plus pauvres, on n’a pas trop envie de les voir… Mais ils ont une sensibilité du Christ.

C’est important que l’Eglise le dise, parce que si l’Eglise ne le dit pas, qui va le dire ?