Bernard Ginisty (9)

 

 

L’Évangile vient des périphéries

 

L’Évangile vient des périphéries est la chronique du 19 janvier 2017, de Bernard Ginisty.

 

 

Andrea Riccardi, historien spécialiste du christianisme et des religions,  est le fondateur de la communauté Sant’ Egidio connue pour son engagement dans des actions diplomatiques et pacifistes dans des régions touchées par des conflits. Son dernier ouvrage « Périphéries. Crises et nouveautés dans l’Eglise » (1) est une réflexion qui fait suite à ce qu’il appelle « le retour des périphéries » dans l’Eglise catholique proposé par le pape François qui, s’adressant aux supérieurs généraux des communautés religieuses, leur déclarait ceci :

 

« Je suis convaincu d’une chose : les grands changements de l’histoire se sont produits quand la réalité a été vue non depuis le centre, mais depuis la périphérie. C’est une question herméneutique : on ne comprend la réalité que si on la  regarde depuis la périphérie, et non pas si notre regard est placé dans un centre à égale distance de tout. Pour comprendre vraiment la réalité, nous devons nous éloigner de la position centrale de calme et de tranquillité et nous diriger vers la zone périphérique » (2).

 

C’est un appel fait à l’Eglise catholique d’abandonner une position de surplomb et de centralisation qui se prétendrait « dans un centre à égale distance de tout ». Pour Andrea Riccardi, les périphéries et les êtres en marge sont constitutifs du Christianisme. C’est ce que montre l’histoire de ce peuple « périphérique » par rapport aux grand empires qu’est Israël, le thème du « petit reste » dans ce peuple sur lequel se fonde les espoirs des prophètes, l’apparition de Jésus, « galiléen périphérique » sur lequel s’interroge un futur disciple : « Quelque chose de bon peut-il sortir de Nazareth ? » (3). C’est ensuite par les « périphéries » que le Christianisme se répand dans le bassin méditerranéen.

 

La « bonne nouvelle » est annoncée aux pauvres dit le texte évangélique. Reprenant un remarque d’Olivier Clément, Riccardi écrit « en Europe, le vrai drame a été le divorce entre le sacrement de l’autel et le sacrement du pauvre dont l’espérance a été déçue ou encore non reçue » (4). Pour illustrer ce propos, il analyse, comment, dans l’Eglise catholique, alternent des attitudes d’engagement et de crispation par rapport aux périphéries. Il évoque, entre autres, l’histoire de l’Eglise de France après la seconde de guerre mondiale avec l’expérience des prêtres ouvriers arrêtée brutalement par Rome, ou encore la figure de Madeleine Delbrêl, qui fait le choix de créer une communauté de vie dans la banlieue rouge de Paris (5).

 

Pour André Riccardi,  la politique de « décentralisation » menée à la suite du Concile dans le catholicisme, reste dans le schéma ancien  «  d’une Eglise gouvernée par le centre, qui avait besoin de dimensions plus humaines et moins vastes. En réalité, le vrai problème  n’est pas de réduire les grands diocèses en circonscriptions plus réduites, mais de faire renaître l’Eglise dans la périphérie : en somme, de donner naissance à des communautés et des expériences chrétiennes qui fleurissent dans ces lieux » (6).

 

A ses yeux, il s’agit moins d’adapter que de « recommencer » : « Recommencer depuis la périphérie avec l’Evangile, c’est répondre aux exigences profondes du chemin chrétien dans l’histoire. Ce n’est pas tant une stratégie pour arriver par paliers au centre de la société, qu’un passage décisif pour parvenir au cœur du message chrétien » (7).  Ce « passage décisif » c’est celui qu’annonce l’apôtre Pierre au Grand-Prêtre devant qui il comparaît au lendemain de la Pentecôte : « C’est lui, Jésus-Christ, la pierre que vous, les bâtisseurs, avez dédaignée, et qui est devenue la pierre d’angle » (8).

 

 

 

     (1) Andrea Riccardi, Périphéries. Crises et nouveautés dans l’Eglise, Le Cerf, 2016.

       (2) Pape François, cité pages 145-146.

       (3) Evangile de Jean, 1, 45-46.

       (4) Andrea Riccardi, ouvrage cité, page 53.

       (5) Madeleine Delbrêl, (1904-1964) Convertie au Christianisme à 20 ans, elle devient  assistante sociale et fonde une communauté de jeunes femmes dans la banlieue ouvrière  d’Ivry-sur-Seine pour rencontrer les gens où ils vivent. « Notre foi, écrit-elle, devait faire de  nous les plus contemporains de tous les hommes. »

        (6) Andrea Riccardi, ouvrage cité, pages 143-144

        (7) Id., page 151

        (8) Actes des Apôtres, 4, 11