Un article sur Marcel Le Hir

 

Un article sur Marcel Le Hir, de François Vercelletto dans Ouest France, du jeudi 14 février 2019.

 

« Je suis ressuscité! Mais il m’a fallu du temps pour m’en sortir. »

Marcel Le Hir nous reçoit chez lui. Une petite maison coquette avec un jardin, dans un quartier tranquille de Rennes. Il est loin d’avoir toujours connu pareil confort. Il a dormi plus souvent qu’à son tour dans sa voiture ou dans une caravane.

« Je suis né dans un baraquement. » À Vitré, en 1951. Ce n’est pas le bout du monde, ce n’est pas si vieux. Aîné de sept enfants, Marcel a grandi dans ce bidonville jusqu’à ses 15 ans. Deux pièces séparées en guise de chambres et une cuisine où « des souris et des rats entraient en plein jour ». Ses loisirs ? Marcel fouille les tas d’ordures où il récupère des métaux pour ramener un peu d’argent. Pourtant, dit-il, « j’étais heureux dans cette misère-là, car on s’aimait avec nos parents ». La cinquantaine de familles des baraquements savent aussi se montrer solidaires… quand elles ne se « tapent pas dessus » après avoir trop bu.

Cet autre monde noue peu de contacts avec l’extérieur. Au fil du temps, l’ambiance se dégrade jusqu’au jour où les services sociaux dispersent la fratrie : logement insalubre, alcoolisme des parents… Direction l’orphelinat Gaifleury, chez les religieuses, à Saint-Georges-de-Reintembault (Ille-et-Vilaine) où Marcel apprend le métier de fleuriste. Mais il souffre d’être privé de ses parents. Il se cache pour pleurer.

« Les familles éclatées s’enfoncent dans la bibine. » Sa mère en meurt prématurément et l’alcool ronge son père irrémédiablement.

Maudite bouteille qui le détruit, lui aussi, à petit feu. Mais comment ne pas céder au sentiment d’évasion qu’elle procure quand les galères s’enchaînent : chômage, expulsion, maladie, humiliations… À se demander s’il n’est pas condamné au malheur, malgré quelques rares éclaircies.

On croirait entendre le poète Aragon. Rien n’est jamais acquis à l’homme, ni sa force/Ni sa faiblesse ni son cœur, et quand il croit/Ouvrir ses bras son ombre est celle d’une croix/Et quand il veut serrer son bonheur il le broie…

Marcel enchaîne les petits boulots, croisant des patrons compréhensifs. Il pense avoir trouvé l’éclaircie avec sa première femme. Ils ont un enfant. « Mais ça n’a pas fonctionné. Au bout de sept ans de vie commune, tout est anéanti en quelques mois. » Retour à la case zéro. La famille de son ex-concubine lui met des bâtons dans les roues pour voir son fils. « Nous, on lui donne une éducation et ce n’est pas celle d’un chiffonnier et d’un ivrogne. » « Il y avait trop de différence de milieu », reconnaît-il aujourd’hui.

Ce n’est pas le cas avec Annick, sa voisine de palier, qui a connu, elle aussi, la même misère. Enfin heureux. « Le pouilleux des baraquements » décroche même un emploi à la Ville de Rennes, au service des équipements sportifs. Mais sa femme est emportée par un cancer à 40 ans.

Il a envie d’en finir. Il touche le fond. Ses enfants s’inquiètent et échappent de peu à la Dass. « Ma seule copine, c’était ma bouteille. » Son médecin le met en garde : « Si vous n’arrêtez

pas la boisson de suite, vous ne verrez pas Noël. » Un électrochoc. Le sevrage est douloureux, mais il tient bon depuis seize ans. Parce qu’Annick lui a légué un précieux héritage : l’amitié. « La vraie » – celle qui unit les membres de l’association ATD Quart-Monde, dont elle faisait partie. Fondé en 1957, par le père Joseph Wresinski avec les habitants d’un bidonville de la région parisienne, ce

mouvement international lutte contre la misère en associant étroitement les plus pauvres à son combat. Marcel est enfin sur la bonne voie.

« Il n’est jamais trop tard. » Aujourd’hui retraité, c’est un militant engagé. « J’essaye de donner de moi-même pour l’autre, quel qu’il soit. »

Des scolaires auprès desquels il livre son témoignage. Des étudiants de Sciences Po, avec qui il travaille durant deux ans, avant de présenter une étude sur Joseph Wresinski à des chercheurs. Des militants d’ATD… Il a même été reçu par le pape François en juillet 2016.

« J’ai rencontré des gens riches qui sont devenus mes amis. Il ne faut pas opposer les riches aux pauvres. » Ce qui ne l’empêche pas de rêver d’une société plus juste où, par exemple, les plus démunis ne seraient pas matraqués par les banques. « 650 € de frais en un an, c’est un demi-mois de retraite. »

Marcel Le Hir écrit aussi. Et joliment. Comme ce livre Ceux des baraquements, paru aux éditions Quart-Monde. C’est un homme debout qui a retrouvé « la paix intérieure », qui croit en lui et en Dieu. Il partage sa foi profonde au sein de Pierre d’angle, une fraternité qui réunit des croyants du Quart-Monde autour de Jésus. « Mon maître. Il a subi, lui aussi, ce que j’ai subi : rejet, isolement, insultes… Jésus se sert de nous pour aller rencontrer l’autre. Il est venu travailler mon terreau intérieur, où rien ne poussait, pour faire pousser la vie. »

« Ce qui s’est passé pour toi, c’est hors du commun », s’émerveille sœur Geneviève, 96 ans, qui l’a connu à l’orphelinat de Saint-Georges-de-Reintembault. « C’est un retournement intérieur qui a enlevé la haine qui était en moi, arrosée en abondance par le regard de l’autre », sourit-il.

« On doit changer notre regard sur la misère. On peut s’en sortir, mais pas tout seul. Il faut qu’on nous tende la main. » Comme ses amis qui l’ont aidé à porter sa croix, pour que son calvaire s’achève. Enfin.

François Vercelletto