Bernard Ginisty (3)

Du désenchantement aux nouvelles naissances

Chronique de Bernard Ginisty, du 10 février 2014



Si la Démocratie constitue le lieu où les citoyens libres et égaux, délibèrent sur le vivre ensemble, nous ne pouvons que constater sa crise grave. Il n’y a plus aujourd’hui de valeurs politiques, idéologiques ou éthiques fortes capables de dynamiser une majorité de citoyens. La fin des grandes idéologies et la perte de référence aux grands récits fondateurs, conduisent chacun à l’errance ou à la consommation télévisuelle d’un prêt à penser de plus en plus dérisoire. Après la chute du Mur de Berlin qui séparait deux projets antagonistes, celui de « la liberté » et celui de « l’égalité », nous assistons à la prolifération de puissances financières, économiques, nationalistes, fondamentalistes, qui minent tout rapport à un bien commun. Les problèmes d’urgence tiennent toute la place dans la décision publique. Cela conduit à de très nombreux désenchantements militants.

Face à ce climat, la pire attitude serait de se laisser envahir par la dépression. Elle ne pourrait découler que d’une paresse nous ayant fait démissionner de nos responsabilités auprès d’appareils ou de figures médiatiques. Ce moment qui voit s’écrouler des références est aussi celui qui rend possible de nouvelles naissances. Ce n’est pas le monde qui s’écroule, mais la réduction de l’art de vivre ensemble à des dogmes socio-économiques. Plus radical que le sentiment de déception demeure la volonté têtue de construire un monde plus fraternel. C’est l’heure des mutants, des citoyens pour qui le goût de la vie et du partage est plus fort que leurs désillusions. Un maître mystique juif du XVIIe siècle, le Baal-Shem-Tov disait cela magnifiquement : « Que chaque matin, le monde devienne neuf pour nous, voilà la grande fidélité » [1]. Le mutant ne saurait être que l’homme des naissances.

Célébrer une naissance, c’est saluer une déprise. Les pouvoirs ont toujours peur des naissances, car elles balayent d’un sourire ironique leurs acquis et leurs certitudes. Tous les Hérode de la terre tueront les innocents par peur d’une naissance qui « renverserait leur trônes ».

Il paraît que ce n’est pas sérieux de naître quand on est vieux. Or il s’agit de la seule chose vraiment importante. C’est ce que Jésus explique à un maître en Israël, le fameux Nicodème, intellectuel de l’époque qui, courageux mais pas téméraire, vint le trouver de nuit. A cet homme de savoir et de pouvoir qui s’attendait à une discussion entre « maîtres », le Christ suggère de naître. Or, pour naître, il est invité à être attentif au souffle de l’Esprit dont « tu ne sais ni d’où il vient ni ou il va » [2]. Quelle déprise ! A quoi bon nos sagesses, nos constructions, nos certitudes, nos économies, nos carrières si le souffle de l’Esprit peut nous faire appareiller pour de nouvelles aventures ?