Bernard Ginisty (4)

 

Bernard Ginisty

Chronique sur RCF, 18 novembre 2014

L’engagement fraternel, source d’humanisation pour nos sociétés
et de vitalité pour les communautés spirituelles.

Les 8 et 9 novembre dernier s’est tenu à Lyon le 3ème Colloque de l’Association Chrétiens et pic de pétrole sur le thème « Non-puissance, sobriété et espérance. Quelle société voulons nous ? » [1] A l’origine de cette association, il y a ce constat simple mais ignoré, voire refusé par le système dominant : il ne peut y avoir de croissance infinie dans un monde fini. Si l’Eglise peine à remettre en cause ce système dominant, les militants de cette association remarquent que « de nombreuses paroles et actions qui se réclament du message de la Bonne Nouvelle donnent de réels signes d’espérance (…) et démontrent que la Bible est toujours vivante, toujours au service des pauvres ».

Pour « Chrétiens et pic de pétrole », le cœur des crises que nous traversons provient de la démesure et du refus de toute limite, qui a envahi l’imaginaire occidental. La réflexion a pour point de départ une conséquence concrète de cette démesure : le déclin annoncé de l’extraction de pétrole sur la planète, le « pic de pétrole ». Les différentes crises que nous traversons : crises écologique, sociale, culturelle, ne sont pas des crises isolées mais les conséquences d’un problème structurel, systémique : la démesure, l’affaiblissement des valeurs humanistes. L’objectif de Chrétiens et pic de pétrole est donc, d’une part, de s’appuyer avec rigueur sur les résultats des recherches scientifiques et anthropologiques et, d’autre part, de rechercher dans les sources chrétiennes et ses développements théologiques les valeurs universelles dans lesquelles il sera possible d’aller puiser, individuellement et collectivement, pour affronter les crises où nous sommes engagés et prévenir celles qui peuvent l’être.

Le 20ème siècle aura vu l’affrontement brutal de l’exigence de la liberté des marchés financiers « sans limite » et celui de l’étatisme « sans limite » au nom de l’égalité. Au fronton des mairies françaises, après les mots égalité et liberté, il y a celui de fraternité. Nous avons pensé qu’il s’agissait d’un vœu pieux. Or, les combats toujours nécessaires pour la liberté et l’égalité, sans une fraternité concrète, deviennent stériles et mortels. Pour le chrétien, la fraternité humaine prend sa source dans la conscience d’une filiation commune qui peut seule donner la mesure évitant les délires sans limites de l’économisme ou de l’étatisme. L’Evangile nous invite à mettre les « pauvres » au cœur des savoirs et des organisations sociétales non pas d’abord pour les « expliquer » ou en faire les clients des bonnes œuvres, mais pour écouter leur parole. La phrase biblique « la pierre qu’ont rejetée les bâtisseurs devient la pierre d’angle »  [2] constitue non seulement une vérité spirituelle, mais le fondement même de l’humanisation de nos sociétés et du développement du psychisme humain.

Dans son texte intitulé La joie de l’Evangile, le Pape François réaffirme avec force ce lien entre la vie communautaire des églises et l’engagement concret dans le combat pour la dignité et l’intégration des tous : « Toute communauté de l’Eglise, dans la mesure où elle prétend rester tranquille sans se préoccuper de manière créative et sans coopérer avec efficacité pour que les pauvres vivent avec dignité et pour l’intégration de tous, court aussi le risque de la dissolution, même si elle parle de thèmes sociaux ou critique les gouvernements. Elle finira facilement par être dépassée par la mondanité spirituelle, dissimulée sous des pratiques religieuses, avec des réunions infécondes et des discours vides. » [3]

[1]  Voir le site de l’Association : www.chretiens-et-pic-de-petrole.org.

[2]  Evangile de Matthieu, 21,42.

[3]  Pape François, La joie de l’Evangile, 207.