Michel Serres (2)

 

 

Un texte de Michel Serres, dans Petites chroniques du dimanche soir, éd. du Pommier, 2006, p. 160-161.

Si la misère détruit l’homme, la pauvreté peut le sauver. La misère est un malheur extrême, le plus extrême des malheurs, mais la pauvreté est une vertu.

Quels que soient les bilans et les statistiques sur le monde d’aujourd’hui, tous concluent que le monde actuel serait invivable sur le modèle des riches. Si l’on essayait de généraliser le modèle des pays opulents, le monde s’écroulerait. Il ne pourrait pas continuer. Et, par conséquent, si nous nous prétendons démocrates, il faut partager ; si nous voulons en finir avec cette aristocratie féroce dont je parlais au début, il faudra bien un jour accepter des conduites de pauvreté. Non seulement, je tiens la pauvreté pour une vertu, alors que la misère est le plus grand malheur des hommes, mais nous y sommes promis.

(…)

Si nous voulons vraiment vivre en démocratie, la propager, la partager, notre destin, même matériel, est la pauvreté ; la pauvreté seule sauvera le monde ; l’esprit de pauvreté est peut-être aujourd’hui le fondement de la morale. Qui peut entendre cela ?