Bernard Ginisty (5)

Pour une laïcité fraternelle

Chronique hebdomadaire de Bernard Ginisty du 27 janvier 2016, sur RCF (radio chrétienne francophone)

 

  Le 20 janvier dernier, le Pasteur François Clavairoly, président de la Fédération protestante de France et de la Conférence des responsables de culte en France, présentait ses vœux devant le Ministre de l’Intérieur et des Cultes. Faisant allusion aux critiques de membres du gouvernement contre l’observatoire de la laïcité et son président, Jean-Louis Bianco, il a souhaité une année « de paix et de concorde (…) dans le cadre d’une laïcité qui ne soit pas une laïcité sujette à des bouffées d’agressivité, y compris contre l’Observatoire de la laïcité ». Par ailleurs, il a exhorté les croyants à « réfléchir à cette incroyable charge de violence que peut contenir la religion si elle n’est pas pensée, traduite, réfléchie (…), si elle renonce à l’intelligence ou au difficile mais nécessaire exercice de l’interprétation et à celui de la lente et profonde méditation, – si elle se réduit à une objurgation, à une obéissance, à une injonction, à un ordre» (1)

         Ces propos me semblent cerner avec beaucoup de justesse l’espace laïc. Il rejoint la compréhension qu’en donne Emmanuel Levinas : « Les institutions laïques qui placent les formes fondamentales de notre vie publique en dehors des préoccupations métaphysiques, ne peuvent se justifier que si l’union des hommes en société, si la paix, répond elle-même à la vocation métaphysique de l’homme. Les institutions laïques ne sont possibles qu’à cause de la valeur en soi de la paix entre les hommes. (…) Cette recherche de la paix peut s’opposer à une religion, inséparable des dogmes. Mais si le particularisme d’une religion se met au service de la paix, au point que ses fidèles ressentent l’absence de cette paix comme l’absence de leur dieu (…) et ne les rendent ni tyranniques ni envahissants, mais plus ouverts et plus accueillants – la religion rejoint l’idéal de la laïcité » (2).

  La laïcité n’occupe pas une place qui surplomberait et toiserait toutes les langues maternelles historiques du sens et de la spiritualité. Ce serait vouloir s’affranchir de l’histoire et s’égaler à l’universel. Et finalement substituer un cléricalisme à un autre. Elle est l’espace de ce que Habermas appelle l’éthique de la discussion où chacun peut faire l’épreuve personnelle de ce à quoi il croit. En ce sens, c’est un espace spirituel. Comme l’écrit Paul Ricoeur : « Il nous faut aujourd’hui aller plus loin que les philosophes des Lumières: ne pas simplement « tolérer », « supporter » la différence, mais admettre qu’il y a de la vérité en dehors de moi, que d’autres ont accès à un autre aspect de la vérité que moi. Accepter que ma propre symbolique n’épuise pas les ressources de symbolisation du fondamental » (3). A l’être humain tenté par le court circuit entre son désir, son Eros et les représentations qu’il a reçu de sa tradition, le Mythos, la laïcité rappelle la fonction médiatrice de la raison, le Logos. C’est en cela qu’elle est un garde fou contre les dérives sectaires et fondamentalistes des religions et contribue à les renvoyer à leur vocation fondamentale d’éveil des hommes à la spiritualité et à l’engagement dans l’universel concret de la fraternité universelle.


  • François CLAVAIROLY, discours du 20 janvier 2016 lors de la présentation des vœux de la Fédération Protestante de France, en présence de Bernard Cazeneuve, ministre de l’Intérieur et des cultes  (http://www.protestants.org).
  • Emmanuel LEVINAS, « La laïcité et la pensée d’Israël », dans Les imprévus de l’histoire, Editions Fata Morgana, 1994, pages 181-182.
  • Paul RICOEUR, « Il y a de la vérité ailleurs que chez soi », entretien avec Frédéric Lenoir publié dans L’Express du 23 juillet 1998.