Un texte de Marcel Le Hir (5)

 

 

 

 

Pour écrire une histoire il faut être au moins deux

 

Pour écrire une histoire il faut être au moins deux, surtout quand cette histoire est vivante par les rencontres que j’ai faites. Mon vécu n’a de sens que si j’associe ces personnes qui sont la source même de ce que je suis devenu aujourd’hui. Il est malheureux de parler de sa misère dans un livre « Ceux des baraquements » mais, n’est-ce pas grâce à ce récit que commencent des rencontres bienfaitrices et novatrices, à travers des personnes diverses, de tous milieux. J’ai pu constater la valeur de l’être humain, riches, pauvres, ils m’ont fait grandir.

Alors je voudrais inviter à ma table d’écriture tous ces compagnons, connus ou inconnus, qui m’ont fait renaître par leur écoute, leur gentillesse. Cette table sera cet écrit où ils pourront se délecter de la richesse qu’ils m’ont apportée.

J’ai puisé à travers toutes ces rencontres un sang nouveau qui m’a permis de reconnaître tout homme comme un frère. Chaque rencontre, chaque jour, m’ont fait délier, dénouer les liens qui entravaient ma vie.

Alors que j’étais nu à un moment de ma vie par le mal vivre, ces rencontres m’ont fait revêtir mon plus beau costume, c’est-à-dire la paix en moi pour porter l’espérance à d’autres. Cette force qui m’anime aujourd’hui me permet d’oser la rencontre de personnes différentes, en souffrance, blessées par la misère, par l’addiction à l’alcool, d’aller à la rencontre des jeunes, des gens d’Église. Tous me donnent ce bonheur et cet amour intérieur qui font grandir.

Je comprends aujourd’hui ce que le Père Joseph, fondateur du Mouvement ATD Quart Monde disait : «Je témoigne de vous». Alors moi, à travers la France, je vais témoigner de la souffrance des hommes à travers l’exclusion, la misère qu’ils vivent.

La justice ne se trouve qu’accrochée à la semelle du pauvre, mais malheureusement, le pauvre n’a pas de chaussures !

C’est cette justice qu’il faut faire naître pour créer une société plus juste. J’ai envie aujourd’hui, par mon expérience, d’amener de l’espoir.

L’Esprit a poussé Jésus au désert. Est-ce cet Esprit qui me pousse comme la sève au printemps, ou comme le vent qui pousse les nuages pour nettoyer le ciel ? Est-ce cela que Dieu a fait naître en moi ? Des liens très forts se sont noués comme une ligne pure à travers le chaos de ma vie.

L’amitié trace notre chemin, la parole fait naître celui qui parle, mais aussi nous sommes nés avec des mains pour concrétiser la parole par des actes.

Des fois il suffit d’un grain de sable pour que la beauté de la vie s’enraye et s’assombrisse. N’est-ce pas à ce moment qu’il faut la rencontre pour repartir ?

J’ai compris qu’en toutes circonstances la haine et la colère n’ont pas leur place. J’ai pu m’apercevoir que mon anxiété et ma souffrance émotionnelle n’étaient rien d’autre qu’un signal.

Quand je vais à l’encontre de mes convictions, je sais que je dois être authentique avec moi-même. Tout ce qui m’arrive aujourd’hui contribue à ma croissance personnelle car on ne finit jamais de grandir, et cela me permet de me libérer de tout ce qui n’est pas bon, tout ce qui pompe mon énergie. J’ai cessé d’avoir peur du temps libre, ne sachant que faire ; j’aime ce que je fais car ma nourriture c’est l’amour de l’autre en simplicité. Il a fallu que je me rende compte de toutes les fois où je me suis trompé sur les autres et surtout sur moi. Quand on met sa tête au service de son cœur, elle devient une alliée pour oser la rencontre dans le respect de l’autre tel qu’il est, le rendre visible dans ce monde.

Le 19 avril dernier est une journée exceptionnelle. Je viens de rencontrer des hommes détenus à la prison de Rennes, rencontre que je pourrais intitulée « Entre les murs ». Je me suis senti tout de suite proche d’eux. Ils m’ont permis de percer ce que renferme leur cœur, un cœur fragile, blessé, mais riche de l’amour qu’ils portent à Dieu. L’un d’entre eux a lu un texte que j’avais écrit avec une telle conviction qu’on le sentait imprégné de ce texte. Pourquoi ils étaient là importait peu pour moi et pour Joëlle qui m’accompagnait. C’était l’instant présent, rempli de cette espérance, qui, à travers mon témoignage, venait nous apporter une confiance réciproque. Il n’y avait plus de ‘’Monsieur Le Hir’’, c’était Marcel, Jean-Pierre, Daniel et tous les autres.

Ils m’ont fait comprendre l’entraide qu’il y a entre eux quand un est dans le besoin, cette écoute qu’ils ont, certains se reconnaissant dans mon témoignage.

Voici une rencontre qui, une fois de plus, me permet de réfléchir sur le monde carcéral, m’apportant cette conviction que le jugement que l’on peut porter sur ces personnes ne concerne pas l’homme mais bien Dieu. Lui seul connaît ce que renferme leur cœur, cette petite flamme qui ne demande qu’à être rallumée. On ne doit pas gâcher cet espoir, je l’ai compris à leur poignée de mains et leur regard au moment du départ, me disant : « Reviens quand tu veux Marcel. » Cette compassion qu’ils manifestent à mon égard, toute cette confiance qui s’est installée pendant les deux heures que nous avons été ensemble, à travers mon témoignage ; on ne se connaissait pas, l’Esprit Saint est intervenu pour faire renaître une liberté intérieure par l’espérance.

Preuve une fois de plus que la rencontre est bénéfique quand elle est vécue dans l’amour du Christ. Toute rencontre fait naître et permet de rentrer en liberté, pour cela il faut oser, accepter l’inconnu ; ne pas savoir à l’avance ce qu’il y a devant ; l’inattendu c’est forcer le passage car ce n’est pas le passé qui doit bloquer mais plutôt d’aller chercher l’avenir qui rendra cet homme ou cette femme « berger » alors qu’ils étaient des brebis égarées.

Le drame du péché c’est qu’il ne se conjugue qu’au passé, alors que le mot aimer se conjugue à tous les temps.

Je ne pourrais écrire ces lignes si je n’avais été affecté par ces rencontres. La force de vie à travers l’amitié et la foi, cette force supérieure qui aplanit les douleurs des turbulences de la vie. Ces rencontres m’ont permis de pouvoir m’arrêter pour me concentrer, écouter, apprendre à donner toute mon attention.

J’étais dans un tunnel et j’ai pu voir la lumière au bout de ce tunnel pour renaître vers l’espérance et voir toute cette beauté, celle qui entoure l’amitié, comme un coup de foudre, de pouvoir enfin retrouver une saveur à la vie, de pouvoir s’étonner de ce qui surgit dans notre histoire comme une grâce inattendue. « Quelle richesse ces rencontres. » Il n’y a pas de mode d’emploi, ou plutôt si, c’est de s’accepter tel qu’on est pour accepter celui que l’on rencontre tel qu’il est : plus on attend Dieu, plus il est l’inattendu et très souvent, je l’aperçois, je le touche à travers mes rencontres car à travers celles-ci j’apprends à parler à Dieu puisqu’avec Lui je parle couramment « l’étranger ». Il me permet d’aller vers mon prochain sans distinction. « Oser » la rencontre sans déguisement.

Mai 2016