Andrea Riccardi

 

 

« Vatican Insider » interviewe Andrea Riccardi, fondateur de la Communauté de Sant’Egidio et historien du christianisme [1]. L’interview, publiée le 5 août 2014, est conduite par Giacomo Galeazzi.
Vatican Insider est un supplément du quotidien italien La Stampa.


« Pour François, les pauvres sont le cœur du christianisme et pas un appendice de l’Evangile ». Andrea Riccardi, fondateur de la Communauté de Sant’Egidio et historien de l’Eglise moderne et contemporaine, est convaincu que Jorge Maria Bergoglio cherche « à travers la prédication à déclencher le changement dans les styles de vie et de consommation. Il combat donc la culture du déchet, quand il était évêque de Buenos Aires et maintenant qu’il est celui de Rome ».

« Pour François, les pauvres sont l’Eglise, pas un appendice de l’Evangile »

– Professeur Riccardi, lors de l’Angelus de dimanche dernier, le Pape a affirmé que se tourner de l’autre côté et éprouver de l’agacement à cause des pauvres signifie suivre « la logique du monde ». L’Evangile social est au centre de ce pontificat ?

– L’Evangile de François est l’Evangile évangélique, pas social. Souvent dans l’histoire bimillénaire de l’Eglise, les pauvres et la question sociale ont été considérés comme des appendices du christianisme. Le Pape Bergoglio, au contraire, nous rappelle que les pauvres sont au cœur du christianisme, et que donc, leur tourner le dos, c’est comme renoncer au cœur. Pour lui, regarder les pauvres n’est pas une attitude exclusiviste, mais au contraire, la condition et la garantie d’un regard universel. C’est quelque chose qu’il faut commencer à comprendre. Non seulement la guerre est mère de tant de pauvretés, mais la faim et la pauvreté sont les mères de la guerre et de la violence.

– C’est un choix théologique ?

– Dans les pauvres, François voit la présence de Jésus. Pour accomplir sa mission, le Pape Bergoglio part des pauvres de manière très concrète et non idéologique, et de cette manière, il défie le système économique, politique et social avec une force prophétique. Dans la tempête de la crise argentine, il n’a jamais éprouvé la tentation idéologique du marxisme révolutionnaire. Cependant, au même moment, il ne s’est jamais aligné sur cette aile de l’Eglise qui, en Argentine, justifiait les inégalités et l’exploitation. François place l’Eglise de Rome, sensible et miséricordieuse, sur les frontières de la détresse.

– Quand est née sa sensibilité sociale ?

– Avant même de devenir évêque, Bergoglio était très sensible aux pauvres. Cela vient de la centralité du message évangélique dans sa vie. Dans l’Evangile en effet, les pauvres et les affamés ont une place de première importance. La clé pour comprendre François est le primat de l’humain sur l’économique. Il a toujours jugé le capitalisme à ses fruits et c’est cette absence de préjugés qui permet à Bergoglio de ne pas être idéologique. A travers la prédication, il veut allumer un mouvement contre la culture consumériste du déchet.
En somme, comme le père Joseph Wresinski avait titré son livre, les pauvres sont l’Eglise. De cette manière, il rappelle à une opinion publique mondiale bien souvent distraite, combien la lutte contre la pauvreté et la faim est un fait décisif et une réalité à laquelle il nous faut nous mesurer constamment. Il ne s’agit pas seulement d’une urgence, mais bien plus d’une constante dramatique de l’histoire de notre temps.

– François exhorte aussi à accueillir ceux qui fuient la guerre et la faim…

– Il s’agit d’un pas que l’Italie doit franchir, avec l’Europe, vers laquelle se dirige une grande part des réfugiés. Nous avons besoin d’une prise de responsabilité européenne de ces flux qui sont dirigés vers le continent. L’Italie, l’Espagne, la Grèce et Malte sont les pays d’entrée pour l’Europe. Pour son premier déplacement hors de Rome Bergoglio a choisi Lampedusa qui est réellement et symboliquement la porte de la maison commune européenne. Aujourd’hui, la Méditerranée signifie misère, guerre, fondamentalisme mais aussi contradiction entre des grandes richesses et la pauvreté. A la souffrance des migrants et de tous ceux qui sont dans le besoin correspondent l’attention et les soins d’une Eglise pauvre, amie des pauvres.

– Il n’y a pas de paix sans justice ?

– Lutter contre la faim est aussi un investissement pour la paix. En effet, bien souvent les cartes géographiques de la faim et de la guerre se superposent de manière impressionnante.
Nourrir le monde le libère du poison de la guerre. Les conflits sociaux sont plus probables quand les bénéfices de la croissance économique n’atteignent pas les plus pauvres. Et cette pauvreté est due surtout à l’absence d’investissements dans l’agriculture. L’agriculture est le domaine par excellence de la lutte contre la pauvreté. Nous savons que pour nourrir une population mondiale qui atteindra les 9 milliards en 2050, la production agricole devra croître de 70%. C’est un énorme défi. Seule une action préventive visionnaire permettra de d’encaisser cet impact.