Jean-Baptiste Metz (1)

 

Un texte de Jean-Baptiste Metz, dans Memoria passionis. Un souvenir provocant dans une société pluraliste, Paris, Le Cerf, (Coll. Cogitatio Fidei, 269), 2009, p. 169.

La mystique biblique monothéiste de la compassion est en son cœur une mystique politique.

C’est une mystique en recherche d’un visage, et non pas une mystique de la nature, autrement dit cosmique, sans visage. Son impératif catégorique, tel que le mentionnent sous diverses variantes les deux Testaments de la foi chrétienne, c’est l’appel à ouvrir les yeux. (…)

Jésus enseigne une mystique, non pas des yeux fermés, mais des yeux ouverts, une mystique qui oblige à tenir compte sans condition du malheur d’autrui. Dans ses paraboles, il revient sans cesse sur la difficulté de l’homme à voir, sur son narcissisme inné ; il dénonce celui-ci comme tel en parlant de voyants et de non-voyants.

Y aurait-il donc peut-être une peur élémentaire de voir, du regard précis, d’un regard qui nous implique inextricablement dans le vu et qui ne nous laisse pas passer en toute innocence ? « Regarde et tu sais ! » Telle est la responsabilité incontournable du je, ce que les chrétiens appellent la conscience ; et ce que nous disons être la « voix » de la conscience est notre réaction à l’épreuve que constitue le visage souffrant de l’autre.

Pour cette conscience, l’autorité du Dieu juge se manifeste dans l’autorité de ceux qui souffrent, sous cette seule autorité que Jésus a institué pour toute l’humanité dans sa célèbre parabole de Mt 25, 37-40 : « Ils s’étonneront et lui demanderont : quand donc t’avons-nous vu souffrir ? Et lui leur répondra : en vérité, je vous le dis, ce que vous avez fait au plus petit d’entre les miens, c’est à moi que vous l’avez fait. »

C’est dans la mystique de la compassion que se joue le drame de la rencontre avec la passion du Christ. C’est là que l’on se met à sa suite.