Joseph Moingt

 

Un texte de Joseph Moingt, dans Dieu qui vient à l’homme. De l’apparition à la naissance de Dieu, tome 2, Paris, Cerf, (Collection Cogitatio Fidei, 257), 2007, p. 1034-1036.


Le propre du service chrétien de l’homme, tel que Jésus l’a signifié solennellement par le lavement des pieds de ses disciples, c’est de se porter au secours ou à l’aide du plus petit, du plus humble, du plus pauvre, du plus souffrant, du plus abandonné, du plus persécuté, mais aussi du plus pécheur, du plus révolté, du plus hostile à notre égard, du plus dévoyé, de qui est tombé au plus bas de l’échelle humaine, de celui-là donc auquel personne ne s’intéresse, à supposer qu’on le remarque, ou dont tous se détournent, parfois avec dégoût.

Agir ainsi en effet, c’est participer au mystère de l’abaissement du Verbe dans la chair, de la compassion du Père aux souffrances du Fils pendu au gibet, de la venue du Consolateur vers les victimes que personne ne visite. Seul l’amour de Dieu, « l’Amour qui est Dieu », permet aux hommes d’aimer de cette façon-là ; le chrétien qui se voue au service des plus petits rend témoignage et donne visibilité à l’Amour qui inspire le sien ; ceux que son exemple incitera à agir de même feront l’expérience d’y être portés par un amour qui n’a pas sa source en eux ; l’incroyant qui, de son propre mouvement, va au-devant des plus pauvres, qui peuvent être les moins « aimables », sentira que la transcendance qu’il respecte en eux vient de plus loin qu’eux ; plongé dans l’« énigme » de la présence de Dieu à la chair du monde, il sera en réalité porté, sans pouvoir la nommer, par et vers la transcendance divine confusément perçue dans celle de l’homme.

(…)

Quand l’Eglise, qui œuvre à la rencontre des hommes dans la dignité et la fraternité, revêt sa vraie figure évangélique, Dieu se révèle en elle sous un visage nouveau, son vrai visage de Dieu-pour-nous, de Père des hommes, visage éternellement vrai, mais que les hommes ne savaient pas voir dans la figure de la religion absolue qui leur renvoyait l’image du Dieu des religions, Père tout-puissant, Dominateur et Législateur, Principe immuable de la conservation de toutes choses dans l’état où elles avaient été crées, ce Dieu dont ils ne voulaient plus et avaient décrété la mort.

Sous la figure humanisée d’une Eglise servante des pauvres se dévoile un Dieu nouveau, qui ne vient plus du passé, mais de l’en-avant des temps, d’une possible innovation de l’histoire, de cet horizon assombri par les menaces de mort où un humble geste d’amitié, le relèvement d’un petit vient de faire surgir une lueur d’espoir, une chance de vie, parce que l’humanité, instruite et inspirée par l’Evangile, réapprend à aimer et redécouvre sa vraie dignité, ouverte sur l’infini d’un Dieu qui est amour.

Alors Dieu renaît à l’actualité de l’histoire où on le croyait mort. Non dans la gloire d’une reconnaissance universelle, à la façon dont les prophètes d’Israël voyaient les peuples de la terre accourir en masse vers Jérusalem pour y adorer le vrai Dieu dans son Temple. Il renaît comme il était né une fois dans l’obscurité d’une étable, seulement reconnu de quelques pauvres, attirés par la folle espérance que l’Esprit avait suscitée en eux, mais de leur rencontre avec l’Enfant une lumière avait jailli qui a traversé les siècles ; de même aujourd’hui tout acte de gratuité, infiltré par la puissance de l’Esprit, a la capacité, sinon de dévoiler l’anonymat du Dieu qui passe, du moins de faire pressentir son passage et de conduire à sa rencontre.