Maurice Zundel (1)

 

Un texte de Maurice Zundel, dans Le problème que nous sommes. La Trinité dans notre vie,
p. 193-195.


Au sujet de saint François d’Assise

Saint François est le plus grand des théologiens, justement parce qu’il n’est aucunement théologien et qu’il est le premier chrétien à avoir compris d’une manière vivante le mystère de la Très Saint Trinité.

Le mystère de la Très Sainte Trinité signifie le détachement absolu de Dieu à l’égard de lui-même dans la communion d’amour qui est la vie des trois Personnes. Or, personne n’a mieux compris que saint François l’éternelle pauvreté de Dieu !

Et sous ses allures singulières, dans cette passion dévorante pour la pauvreté matérielle qui lui fera démolir une maison construite par ses frères pendant son absence en Orient, ce refus absolu de toute propriété, cette passion pour la pauvreté n’est qu’une manière d’affirmer sa foi dans la pauvreté de Dieu.

Sans doute à cette époque eût-il été impossible de parler de la pauvreté de Dieu, et c’est justement le fait qu’il n’était nullement théologien qui lui a permis d’inscrire dans la vie chrétienne cette vérité suprême qui est la première béatitude : « Bienheureux ceux qui ont une âme de pauvre, parce que le royaume des cieux leur appartient » (Mt 5, 3).

Si saint François avait construit une théologie sur ces données, il aurait été immédiatement traité d’hérétique, et toute son entreprise aurait été vouée à un échec retentissant. Mais, comme il n’était qu’un laïc, comme il n’avait pas fréquenté les universités, comme il ignorait tout de la scolastique, comme il ne parlait que par images et par paraboles, on a accepté cette originalité, cette sorte de folie, à travers la sainteté qui rayonnait de lui, on n’a pas vu que ce témoignage, en réalité, rejoignait le cœur du dogme chrétien et en était pour la première fois la parfaite illustration.

Si donc nous pouvons interpréter aujourd’hui la Trinité dans le sens où nous le faisons, si nous y voyons en effet la plus grande révélation spirituelle qui se puisse imaginer, si elle demande un changement de Dieu où l’on passe du pharaonisme céleste à un Dieu intérieur qui est Esprit, c’est-à-dire qui est entièrement libre de soi, si nous pouvons parler de la Trinité dans ces termes aujourd’hui, c’est sans doute parce que saint François par sa vie, par son rayonnement, par sa survivance éternelle, demeure une caution, ou en tout cas l’exemple le plus persuasif de cette interprétation qui nous amène au cœur de l’Evangile.

Et bien sûr ce qui importe dans cette vie, c’est précisément la transparence qu’elle a à la pauvreté de Dieu, c’est là le message éternel de saint François.

Si la rigueur avec laquelle il a pratiqué la pauvreté matérielle ne s’impose pas, elle nous émeut, elle est dans la logique de sa vocation qui est unique. Elle lui permettait de fraterniser avec les plus pauvres et de les évangéliser sans que le problème de la différence des classes puisse se poser puisqu’il était le plus dépouillé des hommes.