Pierre Villain

 

Un texte de Pierre Villain,
dans Les chrétiens et la mondialisation, Paris, Desclée de Brouwer/Témoignage chrétien, 2002, p. 125-126.

Les « derniers » sont-ils enfin « premiers » ?

L’avenir est ouvert. Grand ouvert. Il est promesse et fort de la promesse. Celle de Dieu, sans cesse, renouvelée aux siens. C’est-à-dire à toute l’humanité. avec et comme les autres, les chrétiens sont invités à changer le monde. Leur foi ne leur dit pas comment – concrètement – construire un monde de paix et de fraternité. Elle propose un horizon. Elle ouvre un chemin qui, jamais, ne sera achevé. Il y aura toujours, quelque part, une injustice à combattre et un pauvre à écouter.

L’adversaire, n’en doutons pas, est exceptionnellement puissant. Il ne rendra pas facilement les armes. Et le parcours de ceux qui le combattent, les mains nues et le cœur pacifique, est, lui aussi, truffé d’embûches. Il existe tant d’ambitions et de corporatismes prêts à saisir le neuf pour se l’approprier, quitte à le dénaturer et le discréditer. La tentation est grande de travestir des projets d’avenir pour se garantir quelques « avantages acquis », d’instrumentaliser, volontairement ou non, un mouvement populaire de protestation. Il est plus facile de se servir des pauvres que de les servir. Et tout particulièrement en ce temps où la politique et la militance sont à la baisse. On ne peut espérer changer la société, voire reconstruire la vie, simplement en réussissant des « coups », même si ceux-ci sont utiles, voire indispensables. Un changement réel implique que l’on inscrive son action dans la durée, avec ce que cela suppose d’enfouissement, de patience, de désintéressement et d’opiniâtreté.

Les sentiers de l’avenir sont obscurs. Incertains. Un signe permet toutefois de vérifier que l’orientation choisie est judicieuse. Sur ce chemin, les « derniers » sont-ils enfin les « premiers » ? Les « pierres rejetées » sont-elles enfin devenues les « pierres d’angle » ? Autant dire, la priorité est-elle enfin accordée aux pauvres et aux exclus ? Priorité dont le chapitre 25 de l’Evangile de Matthieu, dit du jugement dernier, rappelle qu’elle est de droit d’Evangile.

L’avenir est ouvert, mais il est risqué. Le risque est inévitable lorsqu’on décide de bouger et de se bouger. Il est aussi prometteur. Chacun et chacun peuvent, à leur manière, chercher à rejoindre « celui qui répare les brèches », « celui qui remet en service les routes », selon les mots du prophète Isaïe. Fort de sa fragilité, chacune et chacun sont appelés, aujourd’hui plus encore qu’hier, à la vigilance active et à l’imagination créatrice. Les traces vivantes de l’utopie – celle de l’espérance – sont parfois beaucoup plus proches qu’on ne le croit.