Au sujet de Frédy Kunz

 (1920-2000)

 

 

 

Dans la file des exclus


Connu au Brésil sous le nom d’Alfredinho, Frédy Kunz est né en Suisse en 1920.
Émigré à six ans, il a grandi à Arbois (Jura) dans une famille d’ouvriers.

« Traité de sale boche, battu à cause de mon nom, je suis revenu en pleurant à la maison. Ma mère a appuyé ma tête sur son cœur et a dit : « Tu es un souffre-douleur ». Pour remplir cet office, j’ai reçu l’onction de l’Esprit pour pouvoir traverser, digérer la souffrance. Et, comme Jésus à son baptême, je suis rentré dans la file des exclus, publicains, victimes de la prostitution, pour ne plus en sortir. »

Apprenti cuisinier à onze ans, c’est à dix-neuf ans, dans la cuisine du buffet de la gare du Fayet, en 1939, « qu’explose en lui l’appel intérieur » à être prêtre. Son père s’y oppose. Il s’engage alors. Prisonnier en juin 1940, il est déporté en Autriche. Durant sa captivité, il a une importante activité de militant chrétien et de résistant. Prenant des risques sérieux, en particulier pour empêcher les prisonniers politiques (Triangles Rouges) de mourir de faim.

 » Je méditais sur tant d’horreurs, j’étais comme écrasé. Je marchais en priant, pieds nus. Je me perdais dans le silence. Pourquoi Seigneur ? »

Devenu Fils de la Charité en 1949, il est nommé à Montréal au Canada. Poursuivi par le désir de vivre comme les exclus, il vit un temps dans un taudis de Saint Henri.

Ce qui est bon pour elle est bon pour moi

Il est envoyé au Brésil en 1968. À Crateus, dans le Nordeste, il donne les derniers sacrements à une jeune victime de la prostitution : Antoniéta, vingt-deux ans, tuberculeuse. Une fois celle-ci décédée, il se dit que ce qui était « bon » pour elle, devait l’être aussi pour lui. Il s’installa donc dans sa baraque, avec l’accord de son évêque Don Fragoso. De là, il travaille dans les champs avec des paysans sans terre et il visite à pied les communautés chrétiennes dans un rayon de quarante-cinq kilomètres autour de Crateus.

Durant la grande sécheresse de 1979 à 1983, alors que les militaires voulaient mobiliser les habitants de Crateus contre l’invasion des « flagelados », les victimes du fléau, Frédy organise un jeûne de neuf jours. À la suite de ce jeûne, deux mille maisons de la ville, à commencer par celle de l’évêque, apposèrent des cartons portant ces mots : « porte ouverte aux affamés ».

Puis, il s’engagea sur l’un des chantiers d’urgence ouverts aux « flagelados ». C’est parmi eux que se recrutèrent les premiers membres de la « Fraternité du Serviteur Souffrant », accompagnés par des « agents de pastorale » qui, chaque année depuis 1977, lors d’une retraite avec Frédy Kunz, menaient une réflexion sur les « chants du Serviteur » (livre d’Isaïe).

 » On lisait Isaïe 53 avec des paysans au milieu des bois et un chaudron de haricots secs. Je disais : vous connaissez celui qui vit comme ce serviteur, sans beauté, traité comme une brebis qu’on mène à l’abattoir, consacré aux autres et qui, à la fin, guérit nos maladies avec ses blessures. »

Ceux et celles qui s’identifiaient à ce serviteur commençaient à se grouper, se prêcher des retraites entre eux, faire de l’artisanat pour lutter ensemble contre le chômage, se regrouper. « Maintenant, disait Rosemary, notre souffrance a un nom. La souffrance, on l’avait déjà, mais elle n’était pas encore baptisée ».

La mission du Serviteur

Cette Fraternité, placée sous le patronage de Maximilien Kolbe, est présente aujourd’hui dans douze états du Brésil, mais aussi au Québec, Etats-Unis, France, Italie, Espagne, Suisse. Les exclus qui n’entrent « pas là pour souffrir, mais pour être heureux », s’y sentent chez eux. Il s’agit de révéler à ces femmes abandonnées, chômeurs, récupérateurs de cartons et détritus, malades mentaux, alcooliques, le mystère qu’ils vivent : serviteurs souffrants d’aujourd’hui, ils ressemblent au Christ serviteur. Il est bon qu’ils le sachent. Il est bon aussi que tous le sachent.

Ce prophète à la parole et à la vie dérangeante, s’attaquait à la fois à la lutte contre la misère, à la course effrénée à la consommation dont le symbole ennemi était pour lui Coca Cola, et promouvait la culture de la simplicité volontaire.

« Les pauvres sont en train de prophétiser pour que les riches changent de vie, car les vrais malades ce sont les pays riches. »

Il a prêché des centaines de retraites aux prêtres, religieuses, étudiants, supérieurs religieux, communautés de base.
En 1988, Frédy quitta le Nordeste pour rejoindre une équipe des Fils de la Charité à Santo André, une ville industrielle du grand Sao Paulo. Il établit ses quartiers dans une baraque de la favela Lamartine. En 1995, pour son soixante-quinzième anniversaire, il rejoint les souffrants de la rue, dormant sur un carton, pendant plusieurs mois, jusqu’à ce que son état de santé le lui interdise.

D’après les Fils de la Charité et Michel Bavarel

 

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Un secret merveilleux

Fredy à Regina, une jeune religieuse qui faisait profession à la Communauté protestante de Grandchamp, en Suisse :

« Un jour, ma petite, tu rencontreras un homme sans beauté, sans rien pour attirer le regard, comme s’il était une ordure de l’humanité. Alors, là, ne te sauve pas. N’aie pas peur, approche-toi. Mets toi à genoux et dis :“Parle, Seigneur” Et là, le Bien-Aimé te dira des choses ineffables, tellement belles…Un secret merveilleux, et ce sera la grâce de ta vie. »

Petite et mal fichue, la fraternité

En 1980, Dona Juliana vit, au milieu des ordures du marché de Crateus, un homme pris de boisson, couvert de plaies, qui était la risée de tous et qu’on appelait « Codo ». Elle le releva, l’emmena dans son quartier, réunit un groupe de sept personnes qui prit soin de lui. Il retrouva son véritable nom, Benedito (Codo était celui de la ville d’où il venait) et devint un personnage reconnu, auquel on demandait sa bénédiction.
« Codo est le Christ », avait proclamé Dona Juliana et son geste est aujourd’hui considéré comme l’acte de fondation de la Fraternité. « Le plus grand don que cette dernière a reçu de l’Esprit est celui de reconnaître Jésus incarné dans les serviteurs souffrants d’aujourd’hui. » Il s’agit essentiellement de révéler à ces « serviteurs » le mystère qu’ils vivent et de le révéler aussi aux autres. Frédy Kunz n’omettait cependant pas de préciser qu’on « n’entre pas dans la Fraternité pour souffrir, mais pour être heureux ».

Michel Bavarel

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Bibliographie

– Michel Bavarel, Frédy Kunz , Si vous saviez la joie des pauvres, éd. Saint Augustin, 2002.


– Michel Bavarel, Frédy Kunz, Alfredhino et le peuple des souffrants, Éditions Ouvrières, coll. À Pleine Vie, 1991.


– Frédy Kunz, La brebis d’Urie, le cri du juste opprimé, Éditions des Trois Moutiers, 1983.


– J. Bouchaud et F. Kunz, L’ânesse de Balaam, Éditions Ouvrières, coll. À Pleine Vie, 1975.


– Carlos Mesters, La mission du peuple qui souffre, Éditions du Cerf, coll. Lire la Bible, 1984.