Claude Geffré (2)

 

 

Un texte de Claude Geffré, dans Le christianisme au risque de l’interprétation, Paris, Le Cerf (Collection « Cogitatio Fidei », 120), 1983 (éd. de 1997), p. 316-317.

La parole libératrice de l’Evangile doit être adressée à tous les hommes, riches ou pauvres, qui sont sous l’esclavage du péché et d’une déshumanisation quelconque.

Mais cela ne remet pas en cause la priorité de la mission de l’Eglise auprès des pauvres, c’est-à-dire des opprimés, des plus démunis et des sans-voix. Ceux qui critiquent l’expression même d’« option préférentielle pour les pauvres » ne doivent pas oublier qu’elle n’a pas seulement un fondement conjoncturel, la situation d’injustice du monde contemporain, mais un fondement ecclésiologique. Ubi Christo, ibi Ecclesia (où est le Christ, là est l’Eglise) : comme nous l’avons déjà évoqué dans un chapitre précédent, la véritable Eglise ne se trouve pas seulement là où la communauté est rassemblée par l’écoute de la Parole de Dieu et le mémorial du Corps du Seigneur ; elle est aussi présente dans la fraternité avec les plus petits dans la mesure où ils sont une présence privilégiée du Christ. On ne doit pas séparer l’une de l’autre les deux déclarations du Seigneur : « Qui vous écoute m’écoute » et « qui les visite me visite ».

On ne doit donc pas opposer la fraternité avec le Christ par la parole et les sacrements et la fraternité avec lui par la présence aux plus pauvres. L’Eglise en état de mission est présente là où le Christ l’attend mystérieusement dans les humiliés, les malades et les prisonniers. C’est tout le sens du jugement eschatologique de Matthieu 25, 31-46 : « Dans la mesure où vous ne l’avez pas fait à l’un de ces plus petits à moi non plus vous ne l’avez pas fait. » La présence cachée du juge du monde dans le plus petit de nos frères est un critère qui juge l’authenticité de notre engagement missionnaire et la qualité évangélique de nos communautés.

Plus que jamais, l’Eglise doit apparaître comme le sacrement universel du salut acquis en Jésus-Christ au-delà de la diversité des races, des cultures et des civilisations. A l’encontre d’une universalité encore abstraite, l’Eglise doit faire la preuve de cette fraternité concrète avec tous les hommes. Il est permis de dire que l’Eglise devient universelle dans la mesure où elle assume les causes universelles de la communauté humaine planétaire et dans la mesure où, aujourd’hui, elle lutte pour les droits de l’homme et se met au service des plus pauvres.