Etienne Grieu

 

 

Un texte d’Etienne Grieu, dans Un lien si fort, Bruxelles-Montréal-Ivry-sur-Seine, Lumen Vitae-Novalis-L’Atelier, 1ère édition de 2009, p. 96-97.


Ceux qui, en lisant les évangiles, ont été rendus sensibles à ce qui se dégage des rencontres que Jésus fait, savent qu’en cheminant avec les petits, les pauvres, l’étranger et même l’ennemi, des saveurs similaires leur seront offertes, précisément parce qu’il s’agit d’échanges qui invitent à sortir du donnant-donnant pour prendre soin de ces liens par lesquels la vie est offerte et entrer ainsi dans une logique d’alliance. C’est pourquoi ces rendez-vous mettent sur la piste du galiléen.

Dès lors que les petits, l’étranger, les laissés-pour-compte, l’ennemi sont abordés autrement que comme des problèmes à résoudre, dès lors qu’il s’agit vraiment d’une relation personnelle qui peut aller jusqu’à l’amitié – pour l’ennemi je concède que c’est un peu difficile, parvenir à se respecter et s’estimer est sans doute déjà un grand pas -, il est probable que l’on aborde le champ des préoccupations ultimes, c’est-à-dire, de ce qui questionne la visée dernière de ce que nous faisons. D’autant que comme on l’a vu, ceux qui sont aux prises avec des situations inextricables ont souvent de grosses questions sur le sens de la vie, la souffrance, Dieu, etc. Certains chrétiens engagés avec les plus pauvres évitent soigneusement d’aborder ces thèmes, parce qu’ils craignent de profiter de la faiblesse de l’autre pour lui fourguer leurs convictions. Mais lorsque la confiance est là et qu’on est sorti d’une simple relation d’aide, je ne vois pas pourquoi on s’y refuserait. A la limite, ce pourrait être perçu comme une restriction dans la relation, une manière de ne pas ouvrir vraiment son trésor. (…)

Lorsque les communautés chrétiennes dépassent cette réticence à ouvrir leur trésor, elles peuvent recevoir ces personnes comme des compagnons sûrs pour cheminer ensemble vers le Père. Ceci pourrait d’ailleurs conduire les paroisses ou les aumôneries à certaines transformations profondes, au fur et à mesure qu’elles seront rendues sensibles à ce qui, dans leur organisation, fait obstacle aux plus modestes. Il y a là, je crois, de quoi faire bouger profondément l’Eglise. Non pas dans le sens de lui rajouter des obligations et devoirs supplémentaires, mais de lui permettre de se laisser conduire par la promesse que le partage avec les petits, les pauvres et l’étranger aura fait entendre.