Gustavo Gutiérrez (2)

 

Un texte de Gustavo Gutiérrez, dans Théologie de la libération. Perspectives, Bruxelles, éd. Lumen vitae, 1974, p. 207-208.


Une spiritualité est une manière concrète de vivre l’Evangile sous la motion de l’Esprit. Une manière précise de vivre « devant le Seigneur » en solidarité avec tous les hommes, « avec le Seigneur » et devant les hommes.

Elle surgit d’une intense expérience spirituelle qui par la suite est systématisée et offerte en témoignage. Cette expérience, certains chrétiens ont commencé de la faire, en fonction d’un engagement dans le processus de libération. Les expériences des générations antérieures sont là pour l’épauler, mais aussi et surtout pour lui faire voir qu’elle doit s’engager sur des chemins inédits.

A l’aujourd’hui de l’histoire et de l’Evangile correspond un présent de l’expérience spirituelle qui ne peut être escamoté. Une spiritualité signifie une remise en place des grands axes de la vie chrétienne en fonction de ce présent. La nouveauté réside dans la synthèse qui provoque l’approfondissement de certains thèmes, fait venir à la surface des aspects méconnus ou oubliés et surtout dans la manière dont tout cela devient vie, prière, engagement, geste. (…)

Là où l’oppression et la libération de l’homme semblent faire oublier Dieu – un Dieu tamisé par notre longue indifférence devant ces questions – doivent jaillir la foi et l’espérance en Celui qui vient détruire l’injustice dans sa racine et apporter de manière imprévisible la libération totale. Il s’agit d’une spiritualité qui ose plonger ses racines dans le sol constitué par la situation d’oppression-libération.

Une spiritualité de la libération sera centrée sur une conversion au prochain, à l’homme opprimé, à la classe sociale exploitée, à la race méprisée, au pays dominé. Notre conversion au Seigneur passe par cette trajectoire.

La conversion évangélique est en effet la pierre de touche de toute spiritualité. La conversion signifie une transformation radicale de nous-mêmes, elle signifie penser, sentir et vivre comme le Christ, présent en chaque homme spolié et aliéné. Se convertir, c’est s’engager dans le processus de libération des pauvres et des exploités, s’engager lucidement, de façon réaliste et concrète. Le faire non seulement avec générosité, mais aussi à partir de l’analyse de la situation et avec une stratégie de l’action. Se convertir, c’est savoir et faire l’expérience que, contrairement aux lois du monde de la physique, on n’est debout, selon l’Evangile, que lorsque notre centre de gravité se situe en dehors de nous.