La pierre d’angle (1)

 

 

Il faut bien voir que le Christ, fondement de l’Eglise, pierre d’angle, a toujours voulu exprimer sa divinité parmi le peuple des pauvres, au milieu du quart monde d’il y a 2000 ans.

Il n’exprime pas sa divinité à travers les docteurs qu’il rencontre, ni à travers les discours qu’il fait. Ce qui l’identifie est sa propre fréquentation. Ceux qui sont réunis autour de lui font partie du monde de la misère et des déchus. Ils sont ceux que les autres hommes ne reconnaissent pas, que les pharisiens n’acceptent pas : la veuve, les lépreux, les prostituées, les affamés, les ignorants, ou alors le Zachée dépouillé et ridiculisé de Jéricho.

Le Christ s’identifie à ce “ menu peuple ”, à ces petits, à ces laissés-pour-compte ; mais il le fait d’emblée, comme de nature. Il n’a pas d’effort à faire pour se reconnaître en eux. Il est eux – “ Ce que vous faites…c’est à moi ”. Il est au milieu d’eux au jour de sa naissance, au jour de sa mort. Lui, l’homme exclu, né hors cité, mort hors la loi. Et le paradoxe est que, sans le savoir, les hommes, en le clouant sur la croix, ont déterminé une fois pour toutes qui il était : un crucifié entre des voleurs, un supplicié de droit commun et non un condamné politique.

Il a voulu être cette pierre d’angle rejetée, qui n’est autre que le peuple des misérables. Et l’Eglise est condamnée, qu’elle le veuille ou non, à travers les siècles, à toujours être cette pierre d’angle et à se réinvestir en terre de misère, si elle veut que l’édifice s’achève et ne croule pas.

L’Eglise ne gêne pas le monde par son dogme, sa morale ; elle gêne le monde par son baiser au lépreux. Et c’est de ce message-là que le monde essaie de la détourner ; c’est ce message- là qui est refusé, qui est craint. Car il conduit au renversement des priorités.

Extraits de la Revue Vie consacrée, n°4 (1979).