Interdits de spiritualité

Dans une conférence « Culture et grand pauvreté » (décembre 1985), le père Joseph Wresinski décrit cinq interdits qui lui semblent caractéristiques de la grande pauvreté et qui, selon lui, situent l’extrême difficulté de toute action culturelle en Quart Monde, aussi bien dans le passé que dans le présent : interdit de famille, interdit de travail, interdit de citoyenneté, interdit d’histoire, interdit de spiritualité.

Au sujet de ce dernier interdit, il remarque ce qui suit.

 

 

Le cinquième et dernier interdit que je vous nommais était celui de la vie spirituelle. Il est sans doute le plus grave et le plus décisif.

Plus que toute autre personne au monde, le plus pauvre sait la faiblesse de l’homme. Tous les jours, il est affronté à des employés, des acteurs sociaux, des bénévoles qui, tous, ont leur idée, leur analyse, leur proposition pour répondre à ses besoins immédiats.

Et pourtant, ce n’est pas à ce niveau-là que le plus pauvre tente de les rencontrer. Ce qu’il voit en ces personnes, c’est avant tout leur capacité à entrer en lien avec l’humanité qui est la sienne. C’est leur capacité à saisir tout ce qui se trouve au-delà même de tous les problèmes immédiats, c’est-à-dire : la vie, la mort et, pourquoi pas, Dieu !

Que savons-nous de cette pensée du pauvre sur Dieu, sur « l’après » de la vie ?

Que savons-nous de ce qu’il connaît de la spiritualité de l’humanité ?

Que savons-nous de sa volonté de vivre ensemble, de sa volonté de rechercher ce qui nous rassemble ?
A son avis, pour qui vivons-nous ? Pour quel Dieu ? Pour quelle idéologie ? Pour quelle vérité ?
Que savons-nous de sa connaissance sur cet insondable mystère de l’homme à la recherche de sa totalité, de son unicité ?

Pourquoi, en son nom, accusons-nous le monde de tous les maux sans même connaître sa pensée à lui ?

Pourquoi le mobilisons-nous à l’occasion contre les autres, sans savoir ce que lui-même attend d’eux ?

Ne pensons-nous pas que partager cette pensée sur le monde et sur Dieu est tout aussi mobilisateur qu’une bonne gestion des allocations familiales, que l’octroi d’un logement médiocre ?

Ou pensons-nous vraiment que le plus pauvre ne pense pas, qu’il n’a pas de vie spirituelle ?

Sans dépassement de cet interdit, toute action culturelle est vaine, car la spiritualité du pauvre est de nous rappeler que nous sommes d’une même humanité. Si nous n’entrons pas dans cette spiritualité-là, inutile de venir oui parler de culture.