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Jean-Claude Caillaux (2)

 

Cet article a été publié dans la revue Approches, Octobre 2012.
 On pourra lire l’ensemble du texte dans le document pdf dont on trouvera le lien ci-dessous.

Car elle naît de l’horizon, la confiance


Car elle naît de l’horizon, la confiance

 

 

 

A Eugen Brand

Il n’existe pas de pont,
 seulement l’eau qui se laisse traverser [1].
René Char

François, Olivier, Mathias, Richard, et encore Jean-Paul, David, Michel… Ou bien par le nom qu’ils ont acquis ou dont on les a affublés, Nanard, Boîte à outils, Dédé, la Chenille, Presqu’île, le p’tit Michel… Des hommes sur l’asphalte, naufragés dit-on. Se frayant une route sous le regard toujours averti des passants, entre l’évitement des uns et la compassion des autres. Inquiétant, suspect, abject ou repoussant, les adjectifs sont informes pour dire ce que vivent et sentent les sans-noms qui hantent la rue, dénudés jusqu’à l’absence et ne rejoignant le monde et sa source qu’à travers un regard, de confiance précisément.

Eux dont l’existence est à l’ombre d’une incessante survie et qui, pour toi lecteur comme pour moi, sont une infinie blessure au cœur du monde, sommes-nous empêchés de les regarder, de les rencontrer, d’être en confiance, en raison de leurs corps défaits, délaissés ? De leurs visages disjoints et de leurs maladies multiples sur la peau, dans la gorge, les bronches, fièvres, fractures, tuberculose ? De leur grande douleur, rupture et malheur, qui les a précipités dans l’abîme ?

Eclipsés de tout ce qui anime les autres. Retirés et absents, on les a rendus aveugles, on les croit muets et aucune parole ne les atteint paraît-il. Eloignés de la lumière plus que l’obscurité des déserts, rejetés de tout et de tous jusque là où « les pleurs mêmes y empêchent de pleurer, / et la douleur devant les yeux obstrués / se tourne au-dedans en une torture plus grande », l’enfer… [2] Relégués aux marges « parce qu’ensemble ils font trop de silence contre le bruit [3] ». Et pourtant… leurs voix d’exclus misérables dans leurs cris de silence ne seraient-ils pas l’incoercible appel, l’espérance que « du cœur insoupçonné/ remonte,/ la parole qui s’était tue [4] » ? Une présence en excès convoquant sa propre clarté.

La rencontre comme un terreau

« Tout commence par une rencontre ». C’est ainsi que s’exprimait Marcel au début d’un entretien pour mieux comprendre la route qu’il avait suivie [5]. De quelque manière qu’on la décline, la confiance est l’aventure d’une rencontre. Sans elle ne doit-on pas dans la vie s’accommoder d’une marche à l’estime, comme sur l’écume.

« Si tu n’es un hôte, tu ne rencontreras pas celui que tu regardes », m’avertit un passant. Car indépassable, son altérité… Tu ne seras jamais l’autre, l’expérience et les références au moins t’en séparent, davantage même que le corps. Tu le sais, mais il arrive que la main se referme sur ce que tu crois deviner de la pensée ou des désirs de l’autre, imaginant comprendre ou pouvoir se mettre à sa place… Sa place n’est pas tienne, et tu n’es proche de lui que comme un hôte, d’abord reçu. Et il arrive parfois que s’engendre la présence, comme réponse à une requête. Son advenue soudain ouvre, lentement, à la réciprocité. C’est ce qui est le plus difficile car on ne sait jamais ce que (à quoi) cela engage, et que cet exercice de la patience est sans balise, hors de toute maîtrise, libre de tout projet. Elle est simplement donnée par surcroît. Se découvre alors que l’on s’était laissé affecter par la rencontre, au point de participer à une destinée commune, celle qui se réalise sur le sol commun d’un nous auquel le je et le tu se révèlent participants.

Serait-ce déjà trop dire ? Et feindre de savoir pour refuser le détour ? Et ne pas se laisser regarder par les visages trop marqués du malheur et de l’exil ?





On peut lire la suite, et l’ensemble du texte,
dans le document ci-dessous.

Car elle naît de l’horizon, la confiance


[1] René Char, Recherche de la base et du sommet, Gallimard, coll. « Poésie », 1971, p. 57.

[2] Dante, La Divine comédie. Enfer, chant 33, cité par G. Steiner, Dans le château de Barbe-Bleue. Notes pour une définition de la culture, Paris, Gallimard, coll. « Folio/Essais », n° 42, 1986, p. 66.

[3] Eugène Guillevic, « Exécutoire », dans Terraqué, Paris, Gallimard, coll. « Poésie », 1981, p. 243.

[4] Pierre Toreilles, Denudare. Ode, Paris, Gallimard, coll. « Poésie », 1993, p. 61.

[5] Voir Maryvonne Caillaux, Comme des orpailleurs. De la misère à la pauvreté, les relations comme chemins de libération, Paris, L’Harmattan, coll. « Histoire de vie et formation », 2010, p.134.